Héroïques - Chapitre 3 : Souvenir d’une balade en montagne
C’était
il y a plus de vingt ans, dans le froid glacial de Croc de givre en territoire
orc, bien loin des îles elfiques dont Lara était originaire. La pente était
rugueuse et le blizzard empêchait de voir à plus d’un mètre devant soi. La
petite Lara alors âgée que de sept ans, toute grelottante malgré l’épaisse
fourrure qui lui servait de manteau, se tenait fermement contre sa mère qui
continuait d’avancer dans la tempête de neige.
—
Ma… Maman… J’ai froid… disait-elle d’une voix faible.
—
Courage ma chérie, on est bientôt arrivé.
~
Palais royal d’Akala, capitale du royaume
elfique et île de l’archipel d’Octide, Vingt-huit ans après.
Un
soigneur venait de rentrer précipitamment dans le somptueux palais royal
accompagné de deux gardes. Ils traversèrent les couloirs garnis de fontaines et
de plantes exotiques qui venaient des quatre coins du monde. Le vieux soigneur
elfe avait demandé audience au roi, son statut, son ancienneté et sa loyauté
lui avait permis de s’adresser à son souverain dans la journée qui suivait sa
demande. Heureusement pour le royaume elfique, car les messages qu’il avait
fait parvenir précédemment n’annonçaient que de mauvais présages... Il arriva
alors face au trône.
—
Mon roi, je vous remercie d’avoir accepté ma demande. dit le vieillard en se
mettant à genoux.
Face
à lui se tenait Brilgon III, un elfe aux cheveux mi-longs et blonds, yeux verts et d’une apparence très jeune pour son âge qui allait bientôt atteindre les
quatre-vingt-cinq ans.
—
Relève toi voyons ! Par les temps qui courent, un médecin expérimenté
comme toi a bien plus de valeur que moi. D’ailleurs quel âge cela te fait cette
année Fuimyr ?
—
Eh bien, cent cinquante-quatre ans mon seigneur, répondit-il d’un air gêné,
pardonnez-moi mais si je suis venu ici c’est pour vous parler des messages que
je vous ai fait parvenir quelques jours plus tôt.
Le
roi prit un air contrarié en plissant les yeux et pinçant les lèvres.
—
Oui, je les ais lus, tu me disais que tu travaillais sur l’épidémie dont mon
peuple souffrait, et donc ? Tu viens m’annoncer que tu as trouvé un
vaccin ?
—
Je suis navré mon roi mais non.
À
sa réponse, le vieux Fuimyr baissa le regard vers le sol, son visage semblait à
la fois triste et paniqué. De grosses gouttes de sueur apparaissaient sur son
front.
—
Mais nous avons identifié la maladie mon roi. Il s’agit de la peste bleue.
Le
roi tapa du poing sur son siège tout en poussant un juron. De son autre main il
se cachait le visage. Les gardes se regardèrent avec beaucoup d’affolement,
puis leurs regards se portèrent sur Fuimyr. En un instant ils dégainèrent leurs
épées et les pointaient dans la direction du vieillard.
—
Tu as été en contact avec les malades et tu oses te présenter dans ce palais ?!
Sors immédiatement ! répliqua l’un d’entre-eux.
Le
soigneur obtempéra et quitta la salle du trône. Avant de partir il lança au
roi :
—
Nous allons à nouveau devoir faire appel aux hommes votre majesté ! C’est
une question de temps, pensez à vos filles !
~
—
Maman, maman, regarde ! C’est quoi ça ?!
—
C’est un bouquetin, Lara, un animal qui vit dans les montagnes.
Lara
regardait l’étrange bête d’un air émerveillé. Cela ne faisait que quelques
heures qu’elles avaient commencé l’ascension et pourtant les nouvelles
découvertes pleuvaient et l’enthousiasme de la jeune elfe ne faillait pas.
Elle
avançait derrière sa mère, la belle Jilhya, une grande elfe à la peau et aux
cheveux blancs, aux yeux d’un bleu cristallin, et à la silhouette grande, élancée
et musclée. Son incroyable élégance, couplée de toutes les particularités
physiques des elfes originaires des îles du nord, là où la neige ne fond pas en
été, lui avait valu le surnom de « Beauté
de l’Hiver ». Jilhya était à l’origine une jeune fille entrainée pour devenir
l’une des guerrières réputées de l’île de Gur, une archère de glace. Mais le
destin en avait décidé autrement lorsqu’elle avait rencontré le prince Brilgon.
Avec le temps elle était devenue une reine respectée et un modèle pour le
peuple, une elfe belle, forte et humble.
Lara
et Jilhya se reposaient au creux d’une montagne. Elles mangeaient du poisson
séché autour du feu.
—
Beurk ! Maman, j’aime pas ça !
—
Il faut que tu manges Lara, si tu veux pouvoir atteindre le sommet tu auras
besoin de force. dit gentiment Jilhya d’un sourire chaleureux qui avait l’art
d’arrêter les moindres caprices de sa fille.
Lara
fit la moue en regardant sa mère, puis le poisson.
—
Tu me promets que si je mange tout, je deviendrais forte comme toi ?
—
Ah non ! Si tu veux devenir aussi forte que moi il faudra manger beaucoup
plus de poisson !
La
petite Lara exprima son étonnement.
—
Mais si tu manges ceci, ça sera déjà un bon début ! finit-elle par dire en
lui faisant un clin d’œil.
Ainsi
ce soir-là Lara mangea plusieurs portions de poisson séché.
~
Il
y a très exactement vingt ans, la peste bleue frappait le royaume elfique. Une
maladie mortelle et extrêmement contagieuse qui ne touchait que les elfes.
Selon certaines rumeurs, c’est les marins qui en revenant de longues
expéditions auraient contracté et répandu la maladie. Les premiers symptômes étaient
classiques : fièvre, maux de tête, fatigue. S’en suivait la perte de
l’appétit, de plus en plus de difficulté à exécuter des actions physiques puis
mentales, le simple fait de respirer devenait compliqué et des plaques bleues
se formaient sur la peau rendant dangereuse toute exposition au soleil. Puis la
fièvre devenait si intense que l’on finissait par en mourir. Comble de l’ironie
pour les elfes qui avaient la réputation d’avoir les meilleurs soigneurs grâce
aux vertus de la magie de l’eau, les voilà qui se retrouvaient face à une
maladie incurable. Le royaume était prêt à tomber. Le roi devait faire appel à
l’aide des hommes. Beaucoup de soigneurs humains étaient donc venus pour tenter
de trouver un remède. Les paladins spécialisés dans la magie de soins accouraient également sur place. Mais la présence de ces derniers était loin d’être
gratuite. En échange le roi des elfes devait prêter loyauté aux hommes pour les
dix prochaines années. Il leur devait ressources, armées et même certaines
îles.
Brilgon
ne voulait en aucun cas dépendre à nouveau des hommes qui n’avaient même pas
été capables de leur débarrasser de la maladie une bonne fois pour toute. Mais
il ne pouvait faire autrement…
—
Rassemblez tous les malades et ceux qui ont été en contact avec eux et
mettez-les en quarantaine. Envoyez un messager au roi Auguste, dites-lui que la
peste bleue est de retour, il comprendra quoi faire… Où sont mes filles ?
—
Mon roi, Mariah est revenue dans sa chambre, nous lui avons dit d’attendre vos
ordres. Mais…Lara est introuvable… conclut le soldat d’un air pessimiste.
— Comment ?! C’est quand même incroyable qu’à son âge elle continue de s’éclipser sans
prévenir !
Le
soldat regardait le roi avec des yeux vides, attendant le prochain ordre.
—
Eh bien trouvez-la imbécile ! Et dépêchez-vous ! ordonna le roi en
colère.
Derrière
le palais royal se trouvait un énorme jardin, c’était là que se situait la plus
grande collection de plante d’Ultia, au centre de celui-ci on y retrouvait
également un lac et une cascade. Mais ce que peu savaient c’était que derrière
cette cascade se cachait une grotte avec un petit lac souterrain. C’était à
cet endroit que Lara aimait bien se retrouver lorsqu’elle avait besoin d’être
seule. Jeune femme elfe de maintenant trente-cinq ans, dans la fleur de l’âge
pour son espèce, Lara réfléchissait à son destin. Il y avait quelques jours
encore qu’on lui annonçait qu’elle devait se préparer à devenir reine à son
tour, notamment en trouvant un mari et en ayant une progéniture car
« c’était à son âge que cela arrivait généralement ».
Elle
était en train de se baigner dans le lac souterrain, flottant sur le dos en
regardant le plafond de la grotte éclairé par une torche qu’elle avait laissé
sur le rebord. Si seulement maman était
encore là…Elle pensait à sa mère, comme à chaque fois qu’elle doutait
d’elle-même. Elle avait encore le souvenir de ses derniers instants. Elle revoyait
encore et encore la porte de la chambre dans laquelle sa mère reposait. Tout le
monde l’empêchait de la voir. Et elle pleurait, pleurait. Sa petite sœur Mariah
était à ses côtés, tentant tant bien que mal de la réconforter mais rien ne
pouvait y faire. En se remémorant ces souvenirs, Lara se surprit à pleurer.
~
Jilhya
et Lara gravirent les derniers mètres qui les séparaient du sommet de Croc de
Givre. Elles étaient toutes les deux essoufflées.
—
On y est Lara ! Tu as du mal à respirer ?
—
Oui, maman, c’est… bizarre !
—
Économise ton souffle alors ! dit-elle en prenant sa fille par les
épaules. Tu vas en avoir besoin… Tout de suite !
Elle
prit alors sa main et la guida près du précipice. Lara fut prise d’un instant
de panique lorsqu’elle regarda en bas. Sa mère, pour la rassurer, s’agenouilla afin
d’arriver à sa taille, releva sa tête et pointa du doigt l’horizon.
Devant
elles s’étendait un paysage magnifique, le soleil se levant d’un côté et la
lune se couchant de l’autre, le désert de Rakoya, l’océan et l’archipel
d’Octide, la grande capitale Vyctory, des forêts, des montagnes, des lacs… C’était
Ultia sous son plus beau jour se présentait devant les yeux émerveillés de Lara
et sa mère.
—
Mon père m’avait emmenée ici quand j’avais ton âge, depuis je savais qu’il
fallait que j’y retourne avec mon enfant.
Lara
semblait hypnotisée par la beauté du paysage, elle sourit et se mit même à rire
et à pleurer, Jilhya en fit de même.
—
C’est si beau ! s’exclama-t-elle.
—
Oui, répondit sa mère, j’aimerai que tu te souviennes de ce paysage toute ta
vie. Un jour tu seras comme Ultia, belle et forte.
~
Dans
la grotte, le plafond s’ouvrit et le paysage réapparaissait devant les yeux de
Lara. À cet instant, elle comprit enfin le message laissé par sa mère.
Tu ne méritais pas de mourir ainsi maman…
pensa-t-elle avant de quitter son petit lieu secret.
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