Héroïques - Chapitre 1 : Le paladin noir
Des
flammes, du sang, des cris et des larmes. Un village, des hommes, des femmes,
des enfants, des vieillards, tous brûlaient, mourraient dans la douleur et la
souffrance. Ceux qui s’échappaient se faisaient transpercer par des carreaux
d’arbalète ou trancher la tête par la lame de magnifiques espadons d’or et
d’acier. La fumée noire s’élevait dans le ciel et cachait toute la beauté de
cette nuit de pleine lune. La cendre abondante étouffait les êtres les plus
faibles. Une heure après, plus aucun cri ne se faisait entendre, seul le
crépitement des flammes était encore audible.
~
Quelques heures plus tôt. Regan était en train de
s’entrainer seul à l’épée comme il avait l’habitude de le faire. Toujours seul,
car les autres ne voulaient pas de lui et lui ne voulait pas des autres. Mais
cela ennuyait fort son mentor et frère d’arme, David, capitaine de l’ordre des
paladins, le bataillon le plus puissant de l’armée des hommes dirigée par le
roi lui-même.
Tous les autres paladins se moquaient de Regan à cause de
ses origines roturières, son caractère antipathique et sa manie de toujours
vouloir cacher son visage. Cela créait des rumeurs sur son sujet, comme quoi il
serait horrible, né avec une malformation, d’où sa volonté de se cacher.
D’autres pensaient qu’il se donnait un genre mystérieux, qu’il voulait se trouver
un style le démarquant des autres soldats et cela lui a valu la haine de ses
compères. David était le seul qui lui accordait son amitié, il lui avait appris
le maniement de l’épée et était toujours là pour le remettre dans le droit
chemin.
Son mentor l’avait rejoint sur le terrain d’entrainement,
et le saluait amicalement.
— Oh
mon ami ! On s’entraine de bon matin à ce que je vois !
Regan
ne répondait pas, toujours concentré sur ses mouvements et sur l’effigie de
bois qui lui faisait face. David s’approcha donc et posa sa main sur son
épaule, manquant de se faire blesser, Regan arrêta net son mouvement.
—
Tu pourrais au moins t’arrêter cinq secondes et me répondre, un jour je ne
serais plus là pour veiller sur toi et ta mauvaise attitude ne t’attireras que
des soucis… dit-il de son air paternel.
— Qu’est-ce
que tu veux ?
La
voix de David prit soudain un ton beaucoup plus grave.
—
Ce soir, nous devrons procéder à une purge. Ordre du roi. Enfin, la purge ce ne
serait qu’en cas de dernière nécessité… Mais nous devons toujours envisager le
pire, tiens-toi prêt, je sais que tu n’en n’as encore jamais faite.
Effectivement,
Regan n’avait qu’entendu parler de ces fameuses purges. Une manœuvre
« nécessaire » selon le roi. Les humains avaient l’habitude de se
faire des ennemis à cause de leur goût de conquête, mais l’ennemi de l’humanité
depuis la nuit des temps avait toujours été les sorcières et autres pratiquants
de magie noire et arts obscurs. Lorsqu’une personne était soupçonnée de
pactiser avec les ténèbres, elle était directement prise en charge par les
paladins, entrainés pour y faire face. Mais il arrivait qu’une sorcière usait
de sa magie pour « infecter » tous les êtres innocents autour d’elle.
Les personnes touchées par ces malédictions étaient susceptibles d’utiliser de
la magie noire, en conséquence, les paladins devaient effectuer des purges et
éliminer tous les infectés afin d’éviter que le mal se répande.
~
Regan se tenait face aux flammes, face aux gens qui mourraient,
il voyait ces soldats censés incarner l’espoir, le courage et l’honneur abattre
des êtres innocents sans défense : hommes, femmes, enfants, vieillards, personne
n’était épargné. Il restait paralysé devant l’atrocité de ce massacre, rongé
par une haine et une tristesse profonde.
Il
finit par prendre son épée et se mit à courir en direction des flammes. Mais un
cri venant de la maison devant laquelle il venait de passer le freina dans sa
course. Il entra et y découvrit un de ses « camarades » enfoncer la
lame de son épée dans le ventre d’une jeune femme en ricanant. Il la retira
violemment et laissa une énorme giclée de sang sur le corps. Derrière le cadavre
de la pauvre paysanne se cachait une petite fille qui, à première vue, n’était
pas humaine à en juger sa couleur de peau et ses cornes, il s’agissait sûrement
d’une orque ou d’une diablesse ou encore d’une hybride des deux. Le paladin assassin
ne comptait pas se contenter de ce premier meurtre, il regardait l’enfant avec
des yeux gorgés de haine et de malfaisance, mais la présence de Regan, qui
finit par se faire remarquer, le ralentissait dans l’accomplissement de ses
actes.
— Désolé
mon gars, mais ceux-là sont à moi !
Juste
après ces paroles, il abattit son épée sur la petite, mais avant de pouvoir
terminer son mouvement, Regan lui transperça la gorge de sa lame. Son cadavre
tomba lourdement sur le sol. Il connaissait les conséquences d’un tel acte, il savait
qu’on ne lui pardonnerait pas, que la trahison était punie de mort… Il ne pouvait
que fuir pour préserver sa vie.
Il
tendit la main à la petite apeurée.
— Suis-moi !
On ne peut pas rester ici !
Elle
leva timidement le bras dans sa direction, le paladin saisit celui-ci et le tira
d’un coup sec. Mais en commençant son action, il se rendit compte que la jeune
fille en souffrait ce qui le stoppa dans son mouvement. En effet elle était blessée,
ruée de coups avec probablement quelques os cassés.
— Tu
peux marcher ?
Elle
lui répondit non de la tête.
Le
paladin se retourna et se mit à genoux en tendant ses bras vers elle.
— Monte
et accroche-toi bien.
L’enfant
obéit et ils sortirent tous les deux de la maison.
Le
feu prenait de plus en plus, la fumée noire nuisait à l’orientation du paladin.
Il devait fuir pour espérer sauver cette petite. Dans sa course il aperçut une
brèche par laquelle il pouvait sortir sans se faire repérer. Il se dégagea du
brasier et fonça dans cette direction. Mais dans le chaos et la confusion, il avait oublié que
le village était encerclé par des arbalétriers pour abattre tout survivant. Il était
trop tard pour rebrousser chemin, deux d’entre eux l’avaient déjà repéré, mais
ne lui tiraient pas dessus… Du moins pour l’instant, car les soldats gardaient
leurs armes pointées sur lui, en se demandant sûrement pourquoi un paladin de
grade inférieur était sorti seul du village.
Le
moment n’était pas à la réflexion, Regan continuait sa route, droit devant les
deux arbalétriers qui hésitaient encore à tirer.
—
Ne me lâche sous aucun prétexte gamine. dit-il à voix basse sans
particulièrement attendre une quelconque réponse.
Il
dégaina son épée. Il aurait eu l’habitude de baisser sa tête pour éviter le tir
qui arrivait, mais l’enfant étant sur son dos il ne pouvait pas se le
permettre. Il plaça son bras devant son visage pour se protéger. Un tir,
manqué.
Il
abattit son épée sur le soldat le plus proche, celui qui venait de le manquer,
l’entaillant de l’épaule jusqu’à la moitié de son torse. Celui-ci cria de douleur
avant de tomber au sol. La grande épée s’étant profondément plantée dans le
corps, Regan ne prit pas le temps de la retirer et chargea dans l’autre soldat
afin de le déstabiliser mais il réussit néanmoins à tirer et à toucher Regan
dans l’épaule. La blessure n’était pas profonde grâce à son armure et le manque
de précision du tir, mais il avait échappé de peu à une mort certaine. Il frappa
le soldat de son poing, mais en sentant que ses mouvements brusques étaient
douloureux pour la petite blessée qu’il transportait. Il se retourna un moment
pour ramasser l’arbalète qui était tombée afin d’achever son adversaire. Le
guerrier qui était redevenu lucide plus rapidement que prévu en profita pour
tenter de l’abattre d’un coup dans le dos.
Regan
sentit que le poids dans son dos avait disparu. Il se retourna vivement et vit
le corps du soldat allongé, la gamine avait bondi dessus pour lui planter
un couteau dans la gorge. Cette dernière était toute tremblotante, le soldat,
lui, s’étouffait dans son propre sang. Regan reprit son épée et acheva le
soldat agonissant en la plantant dans son crâne. Il interpella la petite d’une
tape légère sur son épaule.
— Dépêchons-nous.
~
Le jour commençait doucement à se lever. Les deux
complices venaient de s’arrêter près d’un gros rocher dans une plaine après
avoir traversé la forêt pendant toute la nuit. Regan observait le carreau qui
s’était enfoncé dans son épaule sans pour autant le retirer car il n’avait rien
pour stopper l’hémorragie. Il venait de déposer la petite dans l’herbe encore
humide. Il s’assit, dos à la fille, retira son heaume et respira un grand coup.
Il
jeta un coup d’œil furtif derrière lui, la fille était couchée et tremblait,
il pouvait l’entendre sangloter. Il remit son heaume et s’approcha lentement
d’elle, il lui posa la main sur l’épaule.
— Ne t’inquiètes pas, c’est fini maintenant, tout va bien
se passer, lui dit-il en tentant de la rassurer. Je sais que c’est difficile,
mais tu n’y peux rien…
La jeune fille ne lui répondit pas, elle continuait de
sangloter.
— Quel
est ton nom et quel âge as-tu ?
—
Salena… J’ai huit ans, dit-elle en essuyant ses larmes.
—
Bien Salena, nous ne devons pas perdre de temps, ils vont probablement
continuer leur poursuite. On te cherchera une famille qui voudra bien t’adopter
dans les villages des environs, tu y seras en sécurité.
Salena
se releva et regarda son sauveur. Regan pouvait maintenant l’observer plus en
détail, c’était bel et bien une hybride, elle avait la peau verdâtre et des rayures
au visage propres à certaines espèces d’orcs. Ses cornes, ses oreilles et sa
queue laissaient présager sa nature rakoyienne.
Elle était blessée, il remarquait plusieurs coups et brûlures sur sa peau, ses
vêtements étaient déchirés et on apercevait encore l’horreur de cette nuit dans
le reflet de ses yeux.
—
Et si… Et si on ne m’accepte pas ?
—
Alors nous continuerons plus loin, je te trouverai un endroit où tu pourras
vivre une vie tranquille, où tu pourras échapper au danger, même si je dois
traverser le désert de Rakoya pour ça.
Regan
s’étonna lui-même de ses paroles et de ses actions, il avait tout abandonné
pour sauver une petite hybride, et pourtant c’était le rôle d’un paladin :
protéger les innocents, faire régner l’ordre et la justice, se battre avec
honneur. C’était ce qu’on lui avait vendu lorsqu’il avait rejoint l’ordre, il
n’avait pas l’impression d’avoir trahis les siens mais plutôt de s’être fait trahir.
Ce sentiment le rassurait dans le choix de ses actions, mais amplifiait la
haine qui grandissait en lui envers la justice des hommes.
Ils
continuaient donc leur route sans s’échanger plus de mots que nécessaires.
Salena arrivait de nouveau à marcher mais son pas était lent et boiteux. Regan
venait de remarquer que les cendres et les flammes avaient noirci l’armure
étincelante qu’il portait, cachant en partie l’emblème de l’ordre
des paladins présent sur son torse. Mais ce n’était point suffisant, il fallait
changer son armure le plus vite possible s’il voulait éviter de se faire
reconnaître. Une armure de paladin passait rarement inaperçu…
Au
bout de quelques minutes, Salena finit par briser le silence…
—
Pourquoi est-ce que tu fais tout ça pour moi ?
Regan
resta silencieux pendant un petit instant, regarda devant lui, puis dans la
direction de son épée et enfin vers l’hybride.
—
On m’a toujours dit qu’un paladin devait sauver et protéger les plus faibles.
Alors je ne fais que continuer mon travail…
Salena
continuait de marcher dans le silence puis finit par répondre d’un « merci
de m’avoir sauvée » avant de se taire pendant toute la durée de leur long
voyage…
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